ENQUETE
Taxis-VTC : la défiance continue
La baisse d’activités depuis un an n’a pas éteint les revendications des taxis à l’égard des VTC. Voici pourquoi.
L’amertume et la frustration sont perceptibles chez les taxis après un an de crise sanitaire
«Est-ce que la crise Covid a constitué un marqueur pour pacifier les relations avec les VTC ? La réponse est non», cingle Rachid Boudjema, président de l’Union Nationale des Taxis (1er syndicat de France, plus de 20% de la profession). «Pour nous les VTC représentent toujours une situation de concurrence injuste et déloyale, explique-t-il. Notre contrainte principale est de nous acquitter de l’autorisation de stationnement. Or on sait très bien qu’aujourd’hui certains VTC contournent la réglementation puisqu’ils sont incités par des plateformes à stationner sur la voie publique dans l’attente d’une commande». Et le patron de l’UNT d’appuyer sur un bouton qui n’est pas neutre: «Nous taxis professionnels, en gagnant moins, redistribuons moins en cotisations, impôts et charges. Les plateformes nord-américaines, elles, font main basse sur les revenus de leurs chauffeurs». Le certificat de virginité fiscale est légèrement osé vu l’historique de la profession avec le liquide, mais la réalité est bien là: l’amertume et la frustration sont perceptibles chez les taxis après un an de crise sanitaire.
Même si le propos est un tantinet plus nuancé du côté de la Fédération nationale des taxis de province (FFTP): « Globalement, la situation s’est apaisée, tout en restant fragile. Evitons d’aller toucher à ça pour l’instant, il faut que chacun respecte les règles du jeu ». Ce qui invite à relire un texte signé Tony Bordenave au nom de la FFTP publié le 10 juin 2015: « Les VTC sont là et nous devons maintenant faire avec. Arrêtons de nous voiler la face et montrons à notre clientèle que nous faisons un service de qualité et que la concurrence des VTC ne nous fait pas peur. Regagnons la confiance de cette clientèle que certains ont délaissée quand notre activité ne connaissait pas de concurrence ».
Jean-Michel Rebours (FNAT): «Il y a des taxis clandestins comme il y a des VTC clandestins! Le nettoyage, ce n’est pas à nous de le faire»
Terminons le tour des fédés avec la Fédération Nationale des Artisans du Taxi (FNAT). Le discours de Jean-Michel Rebours, l’un de ses principaux responsables, est encore plus pragmatique: «Il n’y a pas de conflit VTC-Taxis, absolument pas, mais les contrôles ne suivent pas, et la partie administrative concernant les décrets d’application, pareil. Notre conflit n’est pas contre les VTC, il concerne tout simplement ce qui n’est pas légal. Notre ennemi commun, c’est l’irrégularité. Que les lois soient respectées, point, terminé. Il y a des taxis clandestins comme il y a des VTC clandestins! Le nettoyage ; ce n’est pas à nous de le faire».
François Donnadille (FFEVTC): Quand on se croise dans la rue je dirais que l’on s’ignore en se regardant.
Maintenant, basculons sur l’autre versant: quid des relations avec les taxis vu du versant VTC? «Elles ne se sont pas dégradées. Là où il existe des frictions, c’est avec ceux qui trichent», résume François Donnadille, président de la Fédération française des exploitants de voitures de transport avec chauffeurs (FFEVTC), dont la langue de bois n’est visiblement pas la caractéristique principale: «Par rapport aux problèmes économiques résultant de la Covid, les relations devraient devenir de plus en plus tendues. Ce qui empêche qu’elles ne le deviennent excessivement, ce sont les aides de l’Etat. On se regarde, on se jauge. Quand on se croise dans la rue je dirais que l’on s’ignore en se regardant. Nous avons des relations de bon voisinage mais on s’observe». Une espèce de paix armée qui n’exclut pas le respect professionnel entre anciens collègues, mais toutefois le président de la fédération des VTC tire une sonnette d’alarme: «Il y a les aides d’Etat et nous ne sommes pas à la rue, mais si l’activité ne reprend pas, la tension peut monter très vite. Et là, je plains les forces de l’ordre».
Il faut en revenir à la source de ce conflit latent. «Quand Uber s’est installé en France, au lieu de créer une clientèle propre aux VTC, de grande remise, ce qui revient à dire de luxe, ils ont ciblé la clientèle traditionnelle des taxis. Or, le taxi, c’était de l’immédiat ; la grande remise c’était de la réservation», décrypte François Donnadille. Et c’est là que le bât blesse puisque le taxi achète sa licence tandis que le chauffeur VTC s’inscrit sur un registre pour une somme modique. De quoi susciter quelques rancœurs dans le milieu du taxi alors même que, comme le rappelle le président de la FFEVTC dans un élégant euphémisme, le marché n’est pas à ce jour «expansif». Et celui-ci de mettre les points sur les i et la barre au T: «Le chauffeur VTC qui a déposé son client doit rentrer à la base ou alors entrer dans un garage privé afin qu’il ne stationne pas sur la voie publique et ne gêne pas la circulation».
Sur le terrain, la situation est d’autant plus inflammable que les endroits où espérer attirer un client ne sont pas légion
Si l’on comprend bien et en schématisant à outrance, la problématique pour les VTC pourrait se résumer ainsi. Il y a d’un côté les anciens taxis qui ont vendu leur licence mais conservé leur clientèle. Ceux-là n’ont nul besoin de marauder sur la voie publique. De l’autre côté, on trouve des chauffeurs sans « carnet d’adresses » qui sont en quelque sorte obligés de se raccrocher aux branches des plateformes numériques pour vivre ou survivre. Et à ces derniers, il peut apparaître financièrement contre-productif de retourner à la maison entre deux courses ou de payer un ticket de parking. La situation est d’autant plus inflammable que les endroits où espérer attirer un client ne sont pas légion.
Contrôles : mission impossible… mais en partie réalisée
Alors, puisqu’il s’agit de l’une des clefs de cette guerre froide susceptible de se transformer en conflit de moyenne intensité, revenons à ces fameux contrôles. À Paris et plus globalement sur le ressort de l’agglomération parisienne, l’Unité de Contrôle des Transports de Personnes (UCTP) de la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation, dont l’ancienne appellation était section des taxis plus connue sous la dénomination «Boers», est chargée du contrôle et de la répression de la réglementation du transport public particulier de personnes par route. Elle est également compétente sur les plateformes aéroportuaires de Roissy et d’Orly.
Il existe deux types d’opérations de contrôles susceptibles de viser les taxis et VTC:
- celles qui les visent spécifiquement pour le respect de leurs droits et obligations en tant que profession réglementée
- celles qui visent le respect des mesures Covid pour tous les véhicules et à l’occasion desquelles les taxis et VTC sont aussi contrôlés.
En 2020, les «boers» ont relevé 10 192 infractions, parmi ce total:
- 4 015 infractions relèvent de la réglementation spécifique: racolage, exercice illégal de l’activité de taxi, travail dissimulé, signalétique VTC…
- 870 infractions ont été relevées à l’encontre des taxis et 1 574 à l’encontre des VTC.
- 859 contraventions spécifiques Covid ont été relevées.
La fermeture des terminaux sur les plates-formes aéroportuaires de Roissy CDG et Orly durant la crise sanitaire a entraîné de facto une très nette baisse de la fréquentation des voyageurs, et un report de l’activité de contrôles des boers vers les gares parisiennes où l’activité des professionnels des transports publics particuliers de personnes s’est tout naturellement portée.
Difficile de contrôler un VTC: «C’est une voiture quasiment banalisée avec un simple macaron sur le pare-brise et sa carte professionnelle»
« On ne peut pas jeter la pierre aux forces de l’ordre qui se retrouvent dans un schéma de contrôle quasi impossible », estime Rachid Boudjema. « Pour contrôler un taxi, c’est facile. Il est identifié et on le voit. Un VTC, c’est une voiture quasiment banalisée avec un simple macaron sur le pare-brise et sa carte professionnelle. Mais rien ne définit s’il est en service ou non. Donc il peut être en attente illégale sur la voie publique d’une course envoyée par Uber sans que les forces de l’ordre puissent le savoir ».
La loi n°2016-1920 du décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes a été adoptée après une large concertation entre les parties prenantes, qui aurait permis d’établir un équilibre entre les acteurs du transport public particulier de personnes. Rappel des intentions: le gouvernement s’emploie à préserver cet équilibre dans l’intérêt de tous les acteurs. Ainsi, le ministère chargé des transports conduit une stratégie reposant sur trois piliers : renforcement de la lutte contre la fraude, régulation de l’activité et cadre social renforcé.
Depuis le début de la crise sanitaire, le ministère des Transports en lien avec Bercy est particulièrement attentif aux conséquences pour le secteur et à la prise en compte des spécificités dans la déclinaison des dispositifs de soutien économique. Car compte tenu de la situation économique fragile du secteur et de l’absence probablement durable d’une quelconque visibilité, il se pourrait que remonte à la surface une hausse des tensions entre les acteurs du T3P (transport public particulier de personnes). Il ne manquerait plus que ça…
Des chiffres et des aides
La crise sanitaire impacte fortement l’activité des taxis et VTC, très dépendante de l’activité touristique et événementielle, constate le cabinet de Jean-Baptiste Djebbari. Dans les métropoles, après des pertes d’activité qui ont atteint 80 à 90% pendant le premier confinement, le niveau de reprise moyen sur la période juin-octobre peut être évalué à 50 %. Le niveau d’activité a, à nouveau, décru significativement depuis la mise en place du second confinement puis du couvre-feu à 20h (avancé à 18h depuis le samedi 15 janvier 2021). Si elle avait fortement diminué lors du premier confinement, l’activité de transport de malades assis exercée par les taxis a moins subi les effets de la crise sanitaire après la reprise des consultations et soins médicaux hors Covid qui a suivi la période du premier confinement, précise le ministère des transports.
Le secteur du transport public particulier de personnes a bénéficié, dès le premier confinement, des mesures d’accompagnement économique d’urgence transversales et notamment le fonds de solidarité, l’activité partielle, pour les entreprises qui emploient des salariés, des reports d’échéances fiscales, sociales, prêts garantis par l’État. L’importance des moyens consacrés à ces dispositifs doit être soulignée, ajoute le ministère. Pour certains secteurs, particulièrement touchés par la crise, des mesures renforcées ont été décidées dans le cadre du plan tourisme lancé le 14 mai dernier par le Premier ministre.
Des activités amont et aval exercées en lien avec le tourisme et notamment celles des taxis et VTC ont été identifiées pour bénéficier de ce soutien spécifique. Les taxis et les VTC ont été éligibles au titre du secteur dit « S1bis », puis depuis octobre 2020 au titre du secteur « S1 », avec des niveaux d’aide renforcés. Aux mesures transversales, se sont ajoutés des mesures spécifiques telles que des reports d’échéances bancaires, des annulations de charges ou encore des aides renforcées au titre du fonds de solidarité ou de l’activité partielle. « Je le dis quotidiennement à mes adhérents, souligne Rachid Boudjema. Les amortisseurs sociaux nous permettent de ne pas être écrasés et qu’il n’y ait ni casse ni crash ».